Reprendre une entreprise : les conseils de ceux qui ont franchi le pas


Chaque année, quelque 60.000 entreprises sont reprises en France. Souvent moins médiatisés et célébrés que les créateurs, leurs repreneurs ne sont pourtant pas moins essentiels au développement de notre tissu économique. Surtout alors que le vieillissement de la population active fait craindre pour la pérennité de nombreuses structures. Rencontre avec les repreneurs, ces autres hérauts de l’esprit d’entreprise.

Jeune diplômé dépourvu de poste en rapport avec son niveau qualification, cadre confirmé en quête de liberté d’initiative, retraité désirant poursuivre sa vie active, managers voulant assurer la pérennité de leur structure… Impossible de dresser un portrait-robot des repreneurs d’entreprises. « La reprise est d’abord un itinéraire personnel », explique Didier Chambaretaud, repreneur à 48 ans de Let Services, une entreprise de 50 salariés dédiée à l’externalisation du courrier des entreprises et auteur d’un ouvrage sur la reprise d’entreprise[1].

Toutefois, malgré la diversité des profils, des motivations et des parcours, il apparaît que, pour être couronnée de succès, la reprise d’une entreprise doit obéir à quelques règles. Les repreneurs insistent d’abord sur la nécessité de prêter une grande attention aux aspects formels de l’opération. Même si la décision de reprendre une entreprise peut s’apparenter à un coup de cœur, le repreneur comme le cédant ne doivent pas oublier que la cession d’une entreprise est quand même un acte juridique qui va lier les parties. Mieux vaut donc ne pas la bâcler !

Avant de s’engager, il faut avoir une juste vision de l’objet du désir. Comme le soulignent les experts des CCI, « il est nécessaire d’acquérir une vision à 360 ° de l’entreprise »[2]. Ils conseillent donc de réaliser une batterie de diagnostics portant sur les produits, le marché, la concurrence et la stratégie de l’entreprise, mais aussi sur ses ressources humaines, sa situation financière, sa situation juridique, ou encore sur l’état de ses moyens de productions. Un processus de longue haleine qui se prolongera de surcroît, après signature de la lettre d’intention, par un audit complet de l’entreprise.

La démarche est parfois fastidieuse mais permet d’éviter bien des mauvaises surprises. Mieux vaut en effet ne pas découvrir au lendemain de la reprise que le bail des locaux arrive prochainement à échéance ou que l’entreprise doit renouveler sans tarder un parc de machines vieillissant… Preuve qu’il s’agit de bien réfléchir et de concilier passion et raison, Didier Chambaretaud avoue avoir « analysé 60 cibles environ et discuté plus de 20 dossiers à fond, émis 7 lettres d’intention, signé deux protocoles » avant de finalement finaliser la démarche avec Let Services.

Autre point crucial : le montage financier de l’opération. La reprise d’une entreprise se traduit en effet par son achat. Une opération le plus souvent impossible à réaliser sans recourir à l’aide de financements extérieurs. Or, c’est souvent là un véritable parcours du combattant. « J’ai contacté sept banques et seulement deux ont répondu favorablement. C’était au mois de juin 2008, une des pires périodes », relate Nicolas Piollet, qui a repris, à 35 ans, la Société Le Cosinus, spécialisée dans la production de transformateurs basse tension, d’inductances et d’alimentations électriques[3]. Reprendre une entreprise exige donc de la patience et de l’endurance.

Entre le moment où le projet est envisagé et celui où le repreneur s’installe aux commandes, il se passera de longs mois. Un temps de latence, qui met parfois les nerfs du repreneur à vifs mais qui doit lui permettre de se projeter dans l’avenir. Au-delà de la photographie de l’entreprise résultant des audits, il convient en effet d’imaginer son développement futur. « Le plus important est votre projet et celui de l’entreprise. La reprise est une étape, non une fin, le plus important est désormais le nouveau projet d’entreprise », avertit Didier Chambaretaud. « La véritable question que l’on doit se poser est : “quel est le potentiel de cette affaire ?”. Dès qu’on a cerné ses possibilités, on peut faire un plan de développement sur plusieurs années », renchérit Claude Grillot, véritable serial entrepreneur ayant créé ou repris pas moins de 9 entreprises de nettoyage[4].

Une vision partagée par Aymeric Poujol qui, en 2006 a repris le cabinet de conseil fiscal aux entreprises EIF dont il était salarié depuis 2001[5]. « J’ai pris cette décision, conjointement avec mon associée Sandrine Julien, pour obéir à notre désir de développer l’entreprise. Nous voulions lui permettre de grandir et de franchir de nouvelles étapes. Nous avons regardé l’existant bien sûr, nous avons contemplé le chemin parcouru mais surtout celui qui restait à parcourir », explique-t-il. Et d’ajouter : « Lorsque l’on reprend une entreprise, ce n’est pas pour profiter passivement du travail accompli par le créateur. C’est pour le faire fructifier » Promesse tenue : plutôt que d’en rester aux produits existants, Aymeric Poujol a entrepris de diversifier l’activité du cabinet en proposant une offre d’optimisation du crédit impôt recherche au service des entreprises innovantes qui connaît un vif succès.

La reprise d’une entreprise exige donc de faire preuve de qualités de stratège. Mais pas seulement ! Les qualités humaines sont également indispensables et ce dès le démarrage des négociations. « La prise de contact avec le cédant est certainement la clef de voûte de la e et de l’aboutissement de la reprise », estime Laurent Laik, repreneur du groupe d’insertion La Varappe spécialisé dans le BTP, et l’aménagement paysager[6]. De fait, l’appui de l’ancien patron se révélera crucial lors de la prise de fonctions de la nouvelle direction. « Si l’ancien patron ne cède son entreprise qu’à contrecœur, s’il n’a pas le véritable désir de la voir se développer dans d’autres mains, cela peut constituer un véritable obstacle », reconnaît Aymeric Poujol. « Le cédant, qu’il reste présent ou non dans la structure, doit devenir votre allié. Sans quoi le climat peut rapidement se dégrader. L’aspect humain est donc extrêmement important », insiste-il.

Or, l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît ! « Encore plus que la création d’entreprise, la reprise d’entreprise est avant tout une aventure humaine. L’opération est complexe ; il s’agit de faire se rencontrer trois personnes (le vendeur, l’acheteur, l’entreprise et ses salariés) avec des parcours et des identités différentes », met en garde la CCI. Repreneur d’une librairie de 24 salariés, Olivier Dumont confirme : « La reprise d’une entreprise existante est clairement plus stressante que la création ex nihilo. Par exemple, il est plus compliqué de faire évoluer une équipe préexistante que de se constituer sa propre équipe. Il faut, dès les trois premiers mois, s’imposer comme dirigeant et se préparer à prendre des décisions difficiles. L’expérience de manager est indispensable pour bien réussir une reprise » [7]

Plus encore que les créateurs d’entreprises, les repreneurs doivent être de bons managers, et de fins stratèges. « La première action d’un repreneur est de remotiver toutes les équipes. Souvent, les sociétés que l’on reprend sont dans une mauvaise situation financière et les équipes sont démotivées. Il va donc falloir les remotiver et quand je parle de manager, il ne s’agit pas forcément d’un management complexe mais simplement d’un management humain », souligne Claude Grillot. Pour Aymeric Poujol, il ne faut toutefois pas surestimer ces difficultés. « Lors d’une reprise, la crainte des salariés se concentre sur la pérennité de la structure. S’ils sentent que vous avez des ambitions pour l’entreprise et la volonté d’aller de l’avant, ils vous suivent spontanément, parce que, eux aussi, ont le souhait d’aller plus loin et d’évoluer. À mon sens, c’est la clef du succès : proposer des projets permettant aux membres de l’entreprise de valoriser leurs compétences et leur expérience », explique le jeune patron, qui pilote désormais ses consultants au plus près des besoins de BNP Real Estate, Auchan, Allianz ou Unibail Rodamco par exemple.

Une remarque qui, par ailleurs, permet de relativiser les difficultés inhérentes à la reprise et surtout de souligner qu’il s’agit, pour ceux qui se lancent, d’une aventure formidablement exaltante. La preuve ? L’immense majorité de ceux qui ont mené à bien de tels projets déclare ne vouloir à aucun prix revenir en arrière. À l’instar des créateurs, les repreneurs sont des entrepreneurs, c’est-à-dire des hommes et des femmes passionnés. Et peut-être est-ce même le principal ingrédient de la e : faire preuve d’ambition!


[1] http://www.reprise-entreprise.bpifrance.fr/oseo/temoignages

[2] http://www.cci.fr/web/reprise-d-entreprise/

[3] http://www.fusacq.com/temoignage-42-nicolas_piollet_35_ans_reprend_la_societe_le_cosinus_specialisee_dans_la_production_de_transformateurs_basse_tension.html

[4] http://www.dynamique-mag.com/article/etre-un-bon-repreneur-et-bien-reprendre-une-entreprise.1882

[5] http://www.entreprises-et-decideurs.fr/Aymeric-Poujol-reprendre-une-entreprise-c-est-capitaliser-sur-les-hommes-pour-mieux-reussir_a188.html

[6] http://www.fusacq.com/temoignage-3-laurent_laik_directeur_du_groupe_d_insertion_la_varappe.html

[7] http://lentreprise.lexpress.fr/avant-de-se-lancer/l-experience-de-manager-est-indispensable-pour-reussir-une-reprise-d-entreprise_11666.html

 


Kokou Adzo

Kokou is a fervent advocate for the seamless fusion of business and technology, he has always been at the forefront of innovation. Graduating from two esteemed European institutions, the University of Siena in Italy and the University of Rennes in France, he mastered the nuances of Communications and Political Science. With a diverse educational background, Kokou consistently offers insights that reflect his deep understanding of the modern digital landscape shaped by both commerce and governance. Those who have the privilege to read his pieces or collaborate with him are invariably inspired by his vision of a world where business meets tech not just at the crossroads of necessity but at the pinnacle of innovation.

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